Les NON français et hollandais à la constitution de l'UE ont déjà blessé à mort, momentanément, le futur projet européen. Un projet des élites économico-financières (et accessoirement politiques) “européennes” qui avait progressé jusqu'alors principalement sur le plan économique et monétaire, supposée base logique de la compétitivité.

La Constitution prétend être un habillage démocratique minimal qui devra couvrir ce qui est le nouvel avenir du projet communautaire, nécessaire pour opérer dans le monde post-11-Septembre, exacerbé par des rivalités intercapitalistes croissantes.

La nouvelle “Grande Charte” dissimulait difficilement l'approfondissement de la dérive néo-libérale de l'UE, et reflétait la nécessité de construire l»Europe» superpuissance, chaque fois plus vaste et en fonctionnant à différentes vitesses, en développant la dimension politique de l'Union ; c'est-à-dire, sécuritaire et hiérarchisée à l'intérieur, et chaque fois plus interventionniste à l'extérieur, pour mieux défendre les intérêts du capital européen (continental) à l'échelle domestique et mondiale.
Tout cela devrait permettre d'étayer les prétentions de l'euro à être une devise de réserve internationale. Le rejet croissant des citoyens à cette “Europe» a été clairement exprimé quand on lui a donné un minimum d'occasions de se faire entendre, s'est vu renforcé et amplifié à son tour à l'échelle de l'UE par le résultat des referendums français et néerlandais, ce qui a ouvert une brèche énorme entre la classe politique et la société civile. Les incertitudes qui produisent une croissance à l'Est et une «globalisation» qui menacent le modèle social «européen», ont alerté les populations.

Il semble que le processus qui avait été imaginé pour essayer de légitimer le nouveau saut dans le «projet européen», ait précipité l» “Europe» dans le vide, en approfondissant la crise de légitimité des structures étatiques elles-mêmes. Le Roi est presque nu !

Devant le spectre du Non qui planait sur toute l»Europe», les élites politiques ont freiné le processus de ratification et essayent de réparer les pots cassés ; non sans d'importantes tensions entre elles, dans un tableau politico-institutionnel de l'Union qui expérimente d'importants changements. (essor conservateur en Allemagne, future arrivée de Sarkozy à la présidence, etc.).
Cela survient au moment où Blair assume la présidence de l'Union, ainsi que dans un contexte de climat croissant de «choc de civilisations» dans l'espace de l'UE, après les tentatives de Londres (et Madrid).

Ce qui paraît clair c'est que pour rien au monde on ne veut freiner la dérive néo-libérale de l'UE ; bien plus, on veut profiter du présent marasme pour approfondir cette dernière, en accord avec ce qui figure dans l'Agenda de Lisbonne (privatisation des services publics, déréglementation du travail, réduction des dépenses sociales, d directive Bolkestein, etc.), tenant compte des exigences des élites économico-financières et de la dynamique du capitalisme global.

Il existe aussi un accord dans le renforcement de la dimension répressive-pénitenciaire- autoritaire des ةtats (et sa coordination à l'échelle de l'UE), avec l'excuse de la lutte antiterroriste.

Les tensions principales se produisent autour de la future configuration politico-militaire de l'Union (sera-t-elle plus ou moins atlantiste ? plus ou moins fédérale ou supra-étatique ?quelle hiérarchisation entre le centre et les périphéries ?) et en rapport avec le rythme et l'amplitude des prochains élargissements de l'UE.

Il semble que le pacte complexe établi par la Constitution ait volé en éclats. Il faut précisément que les élites le renégocient (ce qui serait déjà un grand pas en avant) en accord avec le nouveau paysage politique et avec les nouveaux rapports de force, mais sans tenir pour nulles les exigences des citoyens. Ou alors, peut-être, de façon rhétorique.

Nous assisterons sûrement à l'élaboration d'un nouveau consensus (à partir d'un groupe de sages ?) qui sera soumis à l'approbation sans aucun type de consultation populaire. De cette manière, on sortirait de l'obstacle du Non français et hollandais, pour débloquer la paralysie actuelle. Il existe désormais une vraie allergie, une grande peur dès qu'on parle de futurs référendums populaires sur le “projet européen”. C'est ce qui est arrivé !

La construction de cette future “Europe” se fera sous une forme à chaque fois plus autoritaire, probablement à partir d'un noyau dur réduit de pays, ce qui signifiera plus de discriminations sociales et augmentera les tensions inter-étatiques.

Il manque peu au Roi désormais pour qu'il soit définitivement nu. Pourtant, il n'a pas été déshabillé par hasard.

Pendant des années, surtout depuis Maastricht, les activités de dénonciation et de résistance émancipatrices contre ce “projet”ont crû, comme d'ailleurs les menées réactionnaires.

Mais de nos jours , les multiples voix libératrices qui proposent une réforme en profondeur, la refondation ou la déconstruction de l'”Europe” convergent peu à peu, non sans tension, à l'échelle continentale, pour enlever les dernières feuilles de vigne qui couvrent encore les «parties honteuses» du seul «projet européen» réellement existant : celui de l'Europe forteresse néoimpérialiste du capital, chaque jour plus indéfendable écologiquement, et avec des citoyens de “première” [1] et de «seconde» (ceux non communautaires) classes [2].

Les Non français et néerlandais ont été un véritable avertissement, qui a secoué toutes les consciences et a démontré que le pouvoir est bâti sur le néant.

Contribuons à approfondir un débat nécessaire sur le futur du «projet européen», afin d'augmenter les résistances à ce dernier à l'échelle communautaire, et pouvoir confluer avec des processus semblables qui se déroulent dans une moindre mesure au niveau mondial, par le rôle chaque jour plus pesant et agressif de l'UE dans les périphéries Sud et Est.
Ce sera la meilleure façon de pouvoir freiner et transformer la dérive compétitive, asociale, destructive et militariste de ce modèle européen (et mondial) basé la nécessité de la croissance et d'une constante accumulation (de capital) : un modèle qui soumet la société, la nature et le globe complet au pouvoir de l'argent.

C'est seulement ainsi que nous pourrons marcher vers une autre Europe [3] et un autre monde possible : démocratique, solidaire, équitable, antipatriarcal, non productiviste et soutenable. C'est-à-dire, l'autre Europe juste et en paix avec les peuples du monde et la planète. Attachons-nous donc à cette tâche.

Traduction : JMT(Jean-Marc.Tagliaferri@wanadoo.fr)

Notas

[1] Classes A et B, également, c'est à dire, de l» UE à 15 et des nouveaux membres, avec moins de droits

[2] Et parmi eux on peut séparer les “légaux” des “illégaux”. Parmi ces derniers, sans aucun type de droit, on peut les qualifier de troisième classe , sur laquelle s'abat tout le poids répressif de l» «ةtat de droit», appréciez la redondance !

[3] Par l'Europe nous nous référons ici à l'espace géographique et démographique, et évidemment pas à une structure institutionnelle comme l'UE. Il sera précieux d'aborder d'en bas la déconstruction de cette structure, tandis que nous mettrons en question l'ةtat nation lui-même, afin d'aller vers des structures politiques et sociales plus participantes, moins technobureaucratiques, et non basées sur la logique de la domination et du pouvoir